Mme Marie-Odile VANHARD
Diplômée : Un des Meilleurs Ouvriers de France
en conservation, restauration et peinture sur verre
par le Ministère de l’Éducation Nationale en 2007.
Vitrail !
Lettre ouverte
A l’attention de :
- la Presse Régionale,
- la Presse Nationale,
- le Ministère de la Santé,
- le Ministère du Travail,
- le Ministère de la Culture et du Patrimoine.
Au vu des prises de positions des Ateliers de Vitrail et certains sénateurs sur des médias régionaux et internet, concernant la Réglementation du plomb en Europe (Règlement REACH), je souhaite réagir pour vous livrer mes convictions en tant que professionnelle retraitée du vitrail, ayant collaborée avec les principaux Ateliers d’Eure et Loir.
En liminaire, je voudrai dire qu’étant diplômée : Un des Meilleurs Ouvriers de France par l’Education Nationale en 2007, je n’ai jamais pu me résoudre pour le moment au regard de ma conviction et au vu de la Réglementation actuelle applicable dans les Ateliers et les manques dans la procédure de suivi par la Médecine du Travail, à participer à former la nouvelle génération et faire rayonner ce métier qui quand bien même ancestral, j’estime dangereux au vu des connaissances actuelles sur la nocivité du plomb.
Je pense que ce métier mérite une évolution drastique afin de protéger les salariés, artisans et familles concernées. Car contrairement aux dires et propos rassurant de différents Ateliers et intervenants du Vitrail, la protection des salariés n’est pas totalement assurée et ce serait à tort que les futurs postulants à ce métier puissent se croire immunisés des effets délétères du plomb.
Ainsi, dans plusieurs Ateliers de Vitrail, depuis les années 1980, nous connaissons des personnes (vitraillistes, verrier, artiste peintre verrier) qui sont décédées trop jeunes. J’ai moi-même remplacé l’une d’entre d’elle.
Certains vitraillistes ont eu des pics d’intoxication et ont aujourd’hui encore leur vie détériorée par des séquelles.
D’autres vitraillistes ont des problèmes de santé, sachant qu’il existe un relargage progressif du plomb osseux dans l’organisme. « Le plomb est un toxique cumulatif dont la demi-vie d’élimination chez les adultes est environ 30 jours dans le sang et les tissus mous, mais de 10 ans à 30 ans dans l’os. Environ 90 % de la charge corporelle en plomb d’un adulte se situe dans les os et les dents et environ 70 % chez l’enfant. Le relargage dans le sang et les tissus mous du plomb stocké dans les os est à l’origine d’une exposition chronique endogène. » Voir l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité, de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail suivant l’étude Expositions au plomb : effets sur la santé associés à des plombémies inférieures à 100 mcg/L. Avis de l’ANSES et rapport d’expertise collective. Janvier 2013. 143 pages et avis de l’ANSES. Saisine N° 2011-SA-0219), confirmé par second rapport de l’ANSES en juillet 2019 (Valeurs biologiques d’exposition en milieu professionnel, le plomb et ses composés inorganiques).
Bien sûr depuis les années 1980, la prévention qui était quasi-inexistante (lavage des mains au savon, radio des poumons par la Médecine du Travail) a largement évoluée (gants, masques FFP1 puis masques FFP3, aspirateurs avec filtre spéciaux, vestiaires séparés …) sont apparus au fil du temps avec surveillance de la plombémie par la Médecine du Travail.
Pourtant, malgré cette prévention dans les Ateliers disposant de ces équipements, des salariés exposés dépassent les valeurs de référence de 100 mcg/L pour les femmes et de 200 mcg/L pour les hommes. Ces taux qui ne dépassant pas les valeurs limites biologiques réglementaires de 300 mcg/L pour les femmes et de 400 mcg/L pour les hommes constituent néanmoins une chronicité pouvant générer des maladies corrélées au relargage du plomb et qui ne seront pas comptabilisées comme maladies professionnelles dues au saturnisme car « le plomb libéré des os peut avoir des effets sur la santé et ce même si le sujet n’est plus exposé au plomb. Dans certains cas, la libération rapide du plomb présent dans les os peut survenir lors de fractures, d’infections ou d’autres facteurs de stress subis par l’organisme » CCHST (Centre Canadien d’Hygiène et de Sécurité au Travail. Fiches d’information Réponses SST. 2 – Effets du plomb sur la santé page 10 sur 11).
Également, le seul arrêt de l’exposition pendant la grossesse et l’allaitement ne suffit pas à éviter le risque, car « le plomb stocké dans les os risque de passer dans le sang durant la grossesse et de contaminer ainsi le fœtus ». OMS (Organisation Mondiale de la Santé. Centre des Médias. Intoxication au plomb et santé. Aide mémoire N°379. Septembre 2016).
A savoir, l’ANSES a été saisi le 26 juillet 2011 par la Direction Générale de la Santé et la Direction Générale de la Prévention des Risques, Ministère en charge de l’Environnement, d’une demande d’avis relatif aux : Expositions au plomb.
Une des questions posées par l’ANSES était :
« Les études suggérant des effets néfastes pour des plombémies inférieures à 100 mcg/L constituent-elles une base scientifique suffisamment robuste pour justifier l’engagement d’actions spécifiques de gestion ? »
« Le collectif d’expert conclut que les études montrant les effets du plomb sur la pression artérielle et sur la fonction rénale chez l’adulte et celles montrant des déficits au niveau du système nerveux central (objectivés par une diminution du QI) chez l’enfant, constituent une base (suffisamment robuste pour conclure à des effets néfastes du plomb à des plombémies inférieures à 100 mcg/L Ces conclusions sont en accord avec celles exprimées par les organismes internationaux ou nationaux cités, ayant récemment évalués les effets du plomb ».
L’ANSES préconise au regard des nouvelles données disponibles, de revoir l’ensemble des valeurs de référence s’appuyant sur la plombémie, y compris celles applicables en milieu de travail (voir référence citée auparavant).
Également, l’INRS (Institut National de Recherche et Sécurité pour la Prévention des accidents du Travail et des Maladies professionnelles) et le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) ont classé le plomb parmi les agents chimiques CMR (Cancérigène, Mutagène, Reprotoxique) :
- Cancérigène : 2B (Substance pouvant avoir un effet cancérigène chez l’humain.)
- Reprotoxique : 1A (Substance reprotoxique avérée chez l’humain.)
En 2016, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) stipule « qu’il n’existe pas de seuil sous lequel, l’exposition au plomb serait sans danger ».(OMS, Centre des Médias. Intoxication au plomb et santé. Aide mémoire n°379. Sept 2016).
Alors, argumenter que le Vitrail est un métier ancestral millénaire afin de rester sur le règlement actuel n’est pas sérieux, du fait des connaissances médicales et prises de conscience d’aujourd’hui. Le ravissement des pupilles du public mérite une prise en charge exemplaire de la maîtrise de la Sécurité pour les travailleurs et non pas de les sacrifier.
Aussi, qui peut penser que le Patrimoine National ou Européen des Vitraux, certains inscrits à l’UNESCO ne sera pas restauré. L’État ou organismes prescripteurs devront payer les dérogations nécessaires en cas d’interdiction du plomb, à charge pour les Ateliers d’assumer un environnement irréprochable pour la Sécurité des travailleurs.
Il est a noter que les stages d’initiation au Vitrail, ouverts à tout public, dans des salles communales ou ateliers inappropriés, ne sont pas acceptable sachant que ce public, même averti, reproduira chez lui, dans le cadre familial (donc avec des moyens inadaptés) les fumées de soudure, la manipulation des produits dangereux comme les baguettes d’étain, les profilés de plomb, les grisailles … Eux aussi ont besoin d’être protégés ! Les métiers d’Art utilisant des produits dangereux ne sont pas des loisirs créatifs !
Pour ces raisons, je demande aux Ministères concernés conformément aux avis successifs depuis 10 ans de l’ANSES :
- Une Réglementation plus stricte avec contrôle rigoureux, des taux plus bas de plombémie et de VME dans les Ateliers.
- Un meilleur suivi par la Médecine du Travail des salariés, patrons et artisans intervenants auprès des Ateliers, sans oublier le milieu familial pouvant également être contaminé par les particules fines de plomb rapportées involontairement, surtout les enfants. Cela est absent de la Législation actuelle.
- L’arrêt des stages et initiations du domaine des Métiers d’Art à risque dans les salles communales et Ateliers inappropriés. (Risque juridique pour les collectivités locales).
Aussi, je regrette la prise de position, plus financière que sanitaire, de la part des sénateurs de plusieurs régions. A charge pour les Ateliers concernés d’évoluer et de ne plus utiliser le plomb en dehors des restaurations du patrimoine comme par exemple pour :
- les bibelots et bijoux en verre sertis de plomb,
- les losanges sur les meubles de cuisine,
- les décos de portes,
- les lampes, …
Ces objets et créations sont accessibles aux enfants, ainsi que pendant l’entretien (dépoussiérage, lavage …).
Aussi, pour le Patrimoine, de nouvelles techniques existent pour les créations grand format, évitant ainsi le sertissage au plomb. Ces œuvres sont régulièrement mises en valeur par les médias.
Mettons en adéquation, la Législation du Travail avec les connaissances médicales actuelles.
Lançons de vraies recherches et acceptons « un Vitrail autrement ».
Pour conclure, j’invite, en les remerciant, les lecteurs à s’exprimer sur le sujet et aux anciens et nouveaux travailleurs du Vitrail à témoigner en m’écrivant par e-mail à marie-odile.v@bbox.fr
Marie-Odile VANHARD